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Brevetabilité des programmes d’ordinateur : et si l’OEB s’était trompé…?

La loi actuelle

Au niveau Européen, la Convention sur le Brevet Européen (CBE) régule aujourd’hui l’essentiel de la brevetabilité des inventions en Europe quel qu’en soit leur domaine technique.

La CBE vise à délivrer des brevets européens qui ont dans chacun des Etats contractants pour lesquels ils sont délivrés, les mêmes effets qu’un brevet national (Art. 2 – Brevet européen).

Or selon la CBE actuellement en vigueur (Art. 52 – Inventions brevetables), il est prévu que :

(1) Les brevets européens sont délivrés pour toute invention dans tous les domaines technologiques, à condition qu’elle soit nouvelle, qu’elle implique une activité inventive et qu’elle soit susceptible d’application industrielle. 

(2) Ne sont pas considérés comme des inventions au sens du paragraphe 1 notamment :

a) les découvertes, les théories scientifiques et les méthodes mathématiques ;

b) les créations esthétiques ;

c) les plans, principes et méthodes dans l’exercice d’activités intellectuelles, en matière de jeu ou dans le domaine des activités économiques, ainsi que les programmes d’ordinateur ; 

d) les présentations d’informations.

(3) Le paragraphe 2 n’exclut la brevetabilité des éléments qu’il énumère que dans la mesure où la demande de brevet européen ou le brevet européen concerne l’un de ces éléments, considéré en tant que tel.

Sur cette base, l’approche consistant à considérer que les programmes d’ordinateur ne sont pas brevetables s’ils sont considérés « en tant que tels » a amené toute une construction jurisprudentielle (offices et tribunaux) et doctrinale, qui évolue encore aujourd’hui.

Historique

En fait, dès les travaux préparatoires de la CBE, la question de l’exclusion des programmes d’ordinateur s’est posée, en particulier à la demande des Britanniques[1], probablement du fait de leur système jurisprudentiel de case law.

Les travaux préparatoires mentionnent également déjà la notion « d’utilisation d’ordinateur »[2], concept finalement très proche de celui actuel des « inventions mises en œuvre par ordinateur ».

Toutefois, les travaux préparatoires consultés ne précisent pas l’origine de l’expression « en tant que tel » si ce n’est qu’elle « tient compte des suggestions des milieux intéressés ».

Et même si à l’époque, « toutes les organisations qui se sont exprimées en ont demandé la suppression »[3], force est de constater que l’exclusion fut introduite et reste encore en vigueur à l’heure actuelle dans la partie législative de la CBE, malgré certaines demandes de transfert de ces dispositions dans le règlement d’exécution, ce qui faciliterait la modification d’un tel texte[4].

A l’heure actuelle, divers acteurs s’estiment insatisfaits de la situation car elle amène, ne serait-ce qu’en Europe, un flou voire une incertitude juridique sur l’étendue de la protection recherchée, sur l’étendue du droit des tiers, ainsi que sur la capacité à valoriser un logiciel ou à agir en contrefaçon.

En fait, le flou sur les termes employés dans les textes de loi est volontaire et, bien que nécessaire au bon fonctionnement du droit, peut amener diverses considérations discutées ci-après.

 Définitions ?

Tout d’abord aucun des termes ou expressions employés dans les exclusions de l’Art. 52 n’est défini par la CBE : ni invention, ni « programme d’ordinateur », ni ordinateur, ni « en tant que tel ».

La notion d’invention est volontairement floue et ce au niveau international puisque l’article 27 (1) de l’accord relatif aux ADPIC laisse à dessein ouverte la question de savoir ce qu’il faut entendre par « invention », ce qui permet aux Etats membres de l’OMC de comprendre et d’interpréter la notion d’invention conformément à leurs traditions juridiques respectives.

Concernant la notion de programme d’ordinateur, selon les Britanniques (travaux préparatoires de la CBE 1973) « un programme d’ordinateur représente seulement l’application mathématique d’une succession logique d’opérations »[5] ; la notion d’ordinateur pouvant aller du simple calculateur aux systèmes complexes actuels.

Selon l’OEB (JO 3/2009, 145), un ordinateur s’entend comme tout appareil programmable et un programme d’ordinateur est une série d’étapes (d’instructions) qui sont exécutées par l’ordinateur lorsque le programme est mis en œuvre, synonyme de logiciel.

Selon la Communauté Européenne (Dir. 2009/24/CE) le terme « programme d’ordinateur » vise « les programmes sous quelque forme que ce soit, y compris ceux qui sont incorporés au matériel; ce terme comprend également les travaux préparatoires de conception aboutissant au développement d’un programme, à condition qu’ils soient de nature à permettre la réalisation d’un programme d’ordinateur à un stade ultérieur ». Cette définition est donc plus large que les algorithmes ou instructions de code de programme visées par l’OEB.

Par ailleurs, aucun texte ne prévoit de définition pour logiciels embarqués (firmware) : faut-il les considérer comme des programmes informatiques ou comme du matériel ?

Enfin, et de manière presque amusante, la CBE ne définit pas explicitement non plus les expressions « demande de brevet » et « revendication », qui pourraient toutefois être le fondement d’une approche différente de notre sujet.

Il existe donc un besoin d’harmonisation des définitions au niveau international.

Au-delà de ces aspects, voyons maintenant plus en détail certaines notions abordées par l’Art.52.

Brevet

L’Art.52(3) vise les « brevets ».

Or l’Art.97 stipule que « Si la division d’examen estime que la demande de brevet européen et l’invention qui en fait l’objet satisfont aux exigences prévues par la présente convention, elle décide de délivrer le brevet européen ».

Ainsi pour qu’une brevet soit délivré, il faut une double condition : sur la demande et sur l’invention.

Par conséquent, si une demande vise un programme d’ordinateur en tant que tel, celle-ci ne respecterait pas les exigences prévues par la CBE et ne pourrait par conséquent être délivrée.

Les dispositions de l’Art.52(3) s’appliquent donc à une demande de brevet non exclue qui, une fois délivrée, deviendrait exclue.

Les seules raisons soutenant cette hypothèse sont d’une part la procédure d’opposition et d’autre part celle de limitation.

En pratique, un brevet délivré tombant sous le coup d’une exclusion après limitation parait quasiment impossible : pourquoi un titulaire irait volontairement limiter son brevet au risque de s’en faire exclure ?

Aussi le seul cas raisonnable se limiterait probablement à la procédure d’opposition, l’Art.52 étant du reste un motif d’opposition [Art.100a) ; G1/95].

A ce sujet, il serait intéressant de connaitre le nombre de décisions de divisions d’opposition ayant abouti à une révocation du brevet au titre de l’Art.52.

Gageons que ce chiffre est très faible et que l’application de l’exclusion de l’Art.52(3) à un brevet soit également peu probable en opposition.

Aussi, en pratique, il nous semble que l’application de l’Art.52(3) à un brevet européen est très peu probable.

Concentrons-nous donc non pas sur les brevets mais sur les demandes de brevets, également visées à l’Art.52(3), et sur leur examen visé à l’Art.97 cité ci-dessus.

Demande de brevet

Une demande de brevet comprend un ensemble de pièces : requête, description, revendications, dessins et abrégé (voir Art. 78 et R. 49(4)).

Rappelons-nous que l’Art.52 (3) n’exclut la brevetabilité des programmes d’ordinateur que dans la mesure où la demande de brevet européen concerne un programme d’ordinateur, considéré en tant que tel.

L’exclusion à la brevetabilité est donc une exception qui, selon un principe de base du droit, est d’interprétation stricte.

Bien que le droit de brevet soit lui-même une exception par le monopole qu’il confère, assumons que l’exception (à la brevetabilité) appliquée à l’exception (de monopole) s’interprète néanmoins comme une exception…

En l’espèce,

Pour qu’une demande de brevet européen soit considérée comme concernant un programme d’ordinateur en tant que tel, faut-il que une seule pièce, plusieurs pièces ou toutes les pièces de la demande portent sur un programme d’ordinateur ?

Voyons maintenant chacune de ces 3 possibilités une à une.

1.                  Si une seule pièce de la demande doit porter sur un programme d’ordinateur pour être considéré comme « en tant que tel », alors quelle pièce choisir ? est-ce que l’une quelconque des pièces suffit ou s’agit-il d’une pièce déterminée ?

L’hypothèse d’une pièce unique choisie arbitrairement apparaît peu réaliste.

Sur le principe tout d’abord.

D’une part par le libellé même de l’Art. 52(3) qui concerne « la demande » et non pas l’une des pièces de la demande. Aussi, choisir aléatoirement ou en fonction des cas l’une ou l’autre des pièces de la demande amènerait une insécurité juridique certaine.

D’autre part, le choix d’une pièce unique viendrait en contradiction avec le principe d’interprétation stricte de l’exclusion.

En pratique ensuite, sur chacune des pièces (visées à l’Art. 78 et R. 49(4)) prises individuellement :

1.1 L’abrégé est clairement exclu pour l’application de l’Art. 54(3) (c’est-à-dire l’application du critère de nouveauté absolue ; cf. Art 85). Il pourrait tout à fait être également explicitement exclu pour l’application de l’Art. 52. Mais comme l’abrégé doit comprendre un résumé concis de ce qui est exposé dans la description, les revendications et les dessins (R.47), le contenu de celui-ci fait tout de même sens dans la question qui nous préoccupe. Il n’y a pas de raison donc, a priori, d’exclure l’abrégé des pièces potentiellement pertinentes. Pour autant, exclure une demande de brevet sur la base de son abrégé nous parait en contradiction avec le principe de l’Art.85 : un abrégé ne pourrait à la fois exclure une demande de brevet et n’avoir aucun effet quant à la nouveauté.

=> L’abrégé ne peut donc raisonnablement être retenu comme pièce unique permettant de déterminer si la « demande » vise un programme d’ordinateur en tant que tel.

1.2 La requête en délivrance semble être une pièce qui ne peut raisonnablement être retenue, même si celle-ci doit contenir le titre de l’invention. En effet, le titre n’est à lui seul probablement pas suffisant pour qualifier l’invention de programme d’ordinateur en tant que tel. En outre, la qualité du déposant pourrait introduire une iniquité entre déposants, par exemple ceux éditeurs de logiciels et les autres. Enfin, cela poserait également des questions en matière de transfert de propriété.

=> La requête en délivrance peut donc donner une indication quant au fait de savoir si la « demande » vise un programme d’ordinateur en tant que tel mais ne peut se suffire en elle-même à déterminer si la « demande » vise un programme d’ordinateur en tant que tel.

1.3 Concernant les dessins, non seulement ils ne sont pas obligatoires (R. 42(1)d)) mais en outre, la CBE ne prévoit que des conditions de forme à leur encontre (R. 46).

=> Les dessins ne peuvent donc raisonnablement être retenus comme pièce unique permettant de déterminer si la « demande » vise un programme d’ordinateur en tant que tel.

1.4 La description doit exposer l’invention (R. 42(1)c)). Elle apparait donc comme un candidat sérieux à notre réflexion. Toutefois, la CBE précise que la description doit exposer l’invention « telle qu’elle est caractérisée dans les revendications ». Par conséquent, toute partie de la description exposant l’invention « telle qu’elle est caractérisée dans les revendications » viendrait en doublon des revendications. Autrement dit, ces éléments de la description ne seraient plus uniques et ne peuvent donc raisonnablement être retenus comme éléments uniques permettant de déterminer si la « demande » vise un programme d’ordinateur en tant que tel. Pour les parties de la description relatives à l’état de la technique antérieure, celles-ci ne peuvent pas non plus être retenues, puisque cela serait en contradiction avec l’Art.69 qui prévoit que l’étendue de la protection conférée par la demande de brevet européen est déterminée par les revendications. Resterait donc l’hypothèse de la partie de la description indiquant en détail au moins un mode de réalisation de l’invention revendiquée (R.42(1)e)) qui pour les mêmes raisons ne peuvent être retenues.

=> La description ne peut donc raisonnablement être retenue comme pièce unique permettant de déterminer si la « demande » vise un programme d’ordinateur en tant que tel.

1.5 Les revendications déterminent l’étendue de la protection conférée par la demande de brevet européen (Art .69). Elles constituent donc le candidat idéal à notre réflexion. Toutefois, la CBE prévoit également que la description et les dessins servent à interpréter les revendications (Art.69(1)). Par conséquent, l’interprétation des revendications par la description suffit à détruire le concept d’unicité de cette pièce.

=> Par conséquent les revendications ne peuvent pas, non plus, être raisonnablement retenues comme pièce unique permettant de déterminer si la « demande » vise un programme d’ordinateur en tant que tel.

Ainsi selon l’approche proposée ici, aucune des pièces de la demande ne peut raisonnablement suffire, à elle seule, à déterminer si la « demande » vise un programme d’ordinateur en tant que tel.

2.              Si plusieurs pièces de la demande doivent porter sur un programme d’ordinateur pour être considéré comme « en tant que tel », alors comme vu ci-dessus, il semble raisonnable de prendre simultanément les revendications, la description et, le cas échéant, les dessins.

Cette hypothèse reste cohérente avec l’Art.69. Toutefois dans ce cas, cela reviendrait à libeller le contenu de l’Art.52(3) comme portant sur « l’invention revendiquée ». Or celui-ci porte bien sur « la demande de brevet européen ».

Par conséquent, l’hypothèse selon laquelle seules certaines des pièces de la demande devraient être considérées pour déterminer l’exclusion ne saurait être retenue.

3.              Fort des considérations précédentes et de l’interprétation stricte de l’exclusion, il ne reste que l’hypothèse selon laquelle toutes les pièces de la demande doivent porter sur un programme d’ordinateur pour que celle-ci concerne un programme d’ordinateur en tant que tel.

Toutefois, même cette hypothèse n’est pas satisfaisante. En effet, comme vu au point 1.2 précédent : il semble peu probable qu’une requête en délivrance puisse être considérée comme portant sur un programme d’ordinateur en tant que tel.

Par conséquent, dans le cadre d’une interprétation stricte de l’exclusion et a contrario du libellé actuel de l’Art.52, il suffirait qu’une seule pièce de la demande ne concerne pas un programme d’ordinateur pour que celle-ci ne puisse pas être considérée comme une non-invention au sens de l’Art.52(3).

Par conséquent, l’hypothèse selon laquelle seules toutes les pièces de la demande devraient être considérées pour déterminer l’exclusion ne saurait être retenue.

En effet, comme discuté ci-dessus, la requête en délivrance suffirait à elle-seule à extraire une demande de brevet des exclusions visées à l’art.52.

Cela signifierait que les décisions de l’OEB ayant rejeté des demandes de brevet exclusivement sur la base de l’Art.52(3) ne seraient pas fondées en droit, ce qui serait pour le moins gênant !

De fait, aujourd’hui, la plupart des décisions de l’OEB ne visent pas à rejeter les demandes sur la base de l’Art.52 mais sur la base de l’Art.56, en « décalant » le problème des non-inventions vers celui de l’activité inventive, par le concept des « inventions mixtes ».

Les inventions mixtes 

Les inventions mixtes sont des inventions dont les revendications combinent des caractéristiques techniques et des caractéristiques non-techniques.

Très tôt (T26/86) la jurisprudence de l’OEB a estimé que, pour décider si une revendication de brevet concerne un programme d’ordinateur en tant que tel, une pondération de ses caractéristiques techniques et non techniques n’est pas nécessaire : si l’invention définie par la revendication met en œuvre des moyens techniques, elle n’entre pas dans le cadre des catégories exclues de la brevetabilité, et elle peut sous réserve des autres conditions, donner lieu à la délivrance d’un brevet.

L’approche des inventions mixtes consiste à scinder une revendication en toutes les caractéristiques qui la composent ; et si au moins l’une d’entre elles est « technique », alors l’OEB considère que l’invention n’est pas un programme d’ordinateur en tant que tel, et la revendication n’est pas rejetée sur la base de l’Art.52.

Pour autant, si la demande de brevet n’est pas rejetée sur cette base, les caractéristiques « non-techniques » ne sont pas prises en considération dans l’activité inventive (T 641/00 (COMVIK) ; JO OEB 2003, 35). En conséquence, beaucoup de telles inventions sont rejetées au stade de l’examen de l’activité inventive.

Le principe exposé au point 4 des motifs de la décision T641/00 (COMVIK) expose qu’une caractéristique non-technique est une « caractéristique se rapportant à des non-inventions au sens de l’Art.52(2). »

L’OEB a certainement raison de poser la question de la non-invention également au niveau de l’activité inventive, et l’approche des inventions mixtes parait légitime et cohérente avec les travaux préparatoires de la CBE 1973.

Toutefois, le régime des inventions mixtes doit être approché avec précision afin que leur fondement juridique soit indiscutable.

En effet, nous avons vu au point 1.5 précédent que les revendications ne peuvent suffire à elles-seules à considérer que la demande de brevet concerne un programme d’ordinateur en tant que tel.

A fortiori, une caractéristique d’une revendication ne peut pas être exclue au motif de l’Art.52.

Ainsi, la définition des caractéristiques non-techniques donnée au point 4 des motifs de la décision T641/00 (COMVIK) ne doit pas être comprise comme la possibilité d’appliquer l’Art.52 à certaines caractéristiques d’une revendication, ce qui reviendrait à supprimer toute caractéristique d’une revendication dès lors que celle-ci porte sur une instruction de code de programme, ce qui par extension conduirait à l’impossibilité de breveter les inventions mises en œuvre par ordinateur…

Problème technique

Il semblerait que l’ambigüité de l’interprétation du contenu de l’Art.52 trouve son origine dans son libellé même qui concerne les « (non) inventions ».

Comme discuté précédemment, la CBE ne définit pas le terme d’invention. Cependant, l’invention doit être décrite (R.42) et revendiquée (R.43).

En particulier, la description doit exposer le problème technique et la solution de ce problème (R.42c)).

En ce sens, remplacer le terme invention par son équivalent, constant en jurisprudence, de solution technique à un problème technique prend tout son sens.

En effet, l’Art.52 tel que nous l’avons discuté jusqu’ici s’applique sur une revendication prise dans son ensemble, indépendamment de toute référence à l’art antérieur.

Dans ce cas il s’agit alors de déterminer si la finalité de l’invention vise l’une des exclusions listée à l’Art.52(2), c’est-à-dire si le problème que résout l’invention est un problème technique ou non (par exemple commercial, organisationnel, intellectuel ou autre).

Or si le problème technique peut être déterminé une première fois, en dehors de toute référence à un quelconque art antérieur, il peut également être reformulé, donc déterminé une deuxième fois, dans le cadre de l’approche problème-solution[6] de l’Art.56, en fonction de l’art antérieur le plus proche.

Ainsi, la reformulation du problème dans le cadre de l’application de l’Art.56 pourrait amener à rejeter une revendication au titre de l’Art.52 au motif que le problème reformulé n’est pas un problème technique, pour autant que le libellé actuel de l’Art.52 soit modifié en ce sens.

La définition jurisprudentielle classique de l’OEB selon laquelle une invention est une solution technique à un problème technique pourrait, voire devrait, être introduite explicitement dans la CBE, ce qui permettrait par exemple de poursuivre la voie jurisprudentielle actuelle en excluant toutes les inventions portant sur des méthodes commerciales, qu’elles soient mises en œuvre par ordinateur ou non n’important alors nullement.

Ainsi, toute solution (matérielle ou logicielle) visant à résoudre par exemple un problème de trading haute fréquence, de méthode d’enchère, de perception émotionnelle, etc. devrait être rejetée, indépendamment de tout art antérieur et de tout examen de nouveauté ou d’activité inventive ; et indépendamment des caractéristiques techniques qu’elle mettrait en œuvre.

A minima, introduire dans la CBE le fait que les revendications doivent porter sur un problème technique pourrait simplifier la situation juridique actuelle.

Conclusion

Au-delà du titre légèrement provocateur du présent article, il est proposé ici de focaliser l’interprétation de l’Art.52 non pas sur les termes « en tant que tel » mais sur les termes « demande de brevet » combinés à l’interprétation stricte à donner aux exclusions.

Dans ce contexte, la proposition discutée pourrait, sans pour autant la résoudre, tout du moins améliorer la situation juridique actuelle.

Le libellé de l’Art.52 actuellement en vigueur porte à notre avis à confusion :

–        par l’absence de distinction entre une invention et la finalité de celle-ci,

–        par l’interprétation stricte qui devrait être donnée à son contenu, ainsi que

–        par la liste non limitative des non-inventions citées au paragraphe 2, qui est totalement silencieuse tant sur les critères qui unissent les éléments listés que sur les critères qui permettraient d’anticiper d’autres éléments susceptibles de compléter cette liste[7].

De fait, il existe une question d’interprétation qui, si la proposition discutée était retenue, pourrait amener à repenser le droit positif.

Une première possibilité, probablement la plus pratique, consiste à supprimer les « programmes d’ordinateur » de la liste des non-inventions visées à l’Art.52(2)c).

En effet, l’OEB délivre des brevets en la matière, des pages entières de directives[8] et de jurisprudence[9] y sont consacrées, les mandataires contournent fréquemment l’exclusion de l’Art.52 par astuce de langage, introduction de caractéristique technique ou positionnement de l’invention sur un « dispositif ».

En outre, d’un point de vue global, le nombre de dépôts en la matière ne cesse d’augmenter, sans pour autant nuire à l’économie du domaine informatique. Les programmes d’ordinateurs exercent le plus souvent une fonction technique, ils vont donc bien au-delà des exclusions des activités « mentales » visées l’Art.52. Ils n’empêchent pas non plus de sauver des vies, ils vont donc bien au-delà des exclusions des activités médicales visées à l’Art.53c).

Par ailleurs, les demandes de brevet portant sur des programmes d’ordinateur qui sont rejetées par l’OEB le sont souvent soit parce qu’elles portent sur une méthode mathématique, une présentation d’information, une activité intellectuelle ou une activité économique (voir à ce titre à nouveau la décision T641/00 (COMVIK)), c’est-à-dire sur des exclusions préexistantes dans la liste de l’Art.52. Exclure un programme d’ordinateur dans ce contexte est donc redondant.

Ainsi, à ce jour, les exclusions posées par l’Art.52, et en particulier celle relative aux programmes d’ordinateur paraissent apporter une complexité certaine aux déposants, aux tiers et aux praticiens, qu’ils soient examinateurs ou mandataires.

La question de la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur se pose effectivement en termes d’acquisition du droit, c’est-à-dire de non-invention, de recherche d’antériorités, et d’examen ; et en termes de valorisation du droit, c’est-à-dire de cession, de concession de licences, et d’action en contrefaçon.

L’exclusion ciblée des programmes d’ordinateur nous parait compliquer la situation juridique et économique, et être inefficace en pratique.

Pour simplifier la situation actuelle, une autre possibilité serait d’introduire au minimum la notion de problème technique afin de pouvoir appliquer cette notion une première fois (hors référence à l’art antérieur) au titre de l’Art.52, puis le cas échéant une seconde fois (avec référence à l’art antérieur) au titre de l’Art.56.

Cette possibilité, bien que non totalement satisfaisante, notamment du fait du décalage de la non-définition du terme « invention » à la non-définition du terme « technique », permettrait néanmoins dans un premier temps de réduire les incertitudes juridiques.

Certes, une telle possibilité n’empêcherait probablement pas les praticiens de protéger une invention dont le problème est non-technique par une astuce de langage. Par exemple, un procédé esthétique consistant à rendre plus attrayant l’aspect purement visuel d’un bijou pourrait être formulé comme un procédé de dépôt métallique et / ou d’oxydation. Mais n’est-ce pas déjà le cas dans bien d’autres domaines ?

En revanche, une telle possibilité permettrait peut être, et c’est le but, d’exclure les caractéristiques non-techniques d’une revendication, en particulier les caractéristiques économiques ou commerciales.

Ceci étant dit, il nous semble que l’approche développée pour les inventions mixtes devrait être exclusivement utilisée au regard de l’activité inventive, en dehors de toute référence à l’Art.52 actuel.

Selon la discussion proposée, une invention ne doit être exclue que si toutes les caractéristiques de celle-ci tombent sous le coup d’une exception listée dans l’Art.52.

Si au moins une caractéristique d’une revendication ne tombe pas sous le coup d’une exception listée dans l’Art.52, alors l’invention ne doit pas être exclue à ce titre, sauf si le problème qu’elle vise à résoudre est lui-même qualifiable selon l’une de ces exceptions.

Cette définition du problème technique peut à nouveau être posée lors d’une reformulation du problème dans le cadre d’une approche problème-solution pendant l’examen de l’activité inventive d’une demande de brevet.

Enfin, n’oublions pas que l’Art.57 sur l’application industrielle vise à exclure de la protection par brevet toute invention purement abstraite, et que cette possibilité d’exclusion est aujourd’hui totalement sous-utilisée par l’OEB.

Thibault Bouvier – mars 2018

Président Input IP – Mandataire Européen


[2] Op.Cit. page 87 du fichier PDF

[3] Op.cit. page 78 du fichier PDF

[4] La modification d’un article nécessite une conférence diplomatique, alors que la modification d’un règlement d’exécution peut être faite par l’OEB

[5] Op.cit. page 66 du fichier PDF

[6] Dir. G VII 5

[7] Voir « Initiation à la protection des valeurs incorporelles », Jean-Paul Bentz, Les éditions du Net, p.202

[8] Directives relatives à l’examen pratiqué à l’Office européen des brevets, G II 3.6 ; ainsi que http://www.epo.org/law-practice/legal-texts/guidelines/cii-index_fr.html

[9] La Jurisprudence des Chambres de recours, 2016, I A 2.4.2